Second volet de mon entretien avec Claude Lemesle, grand monsieur de la chanson française ayant écrit plus de 3000 textes de chansons, qui m’explique ici la genèse de l’écriture du tube de Joe Dassin : « L’été indien ».
Le premier volet, super intéressant, dans lequel il explique « comment écrire une chanson » est disponible ici.
Le premier chapitre de son livre « L’art d’écrire une chanson » est d’ailleurs intitulé « Aux couleurs de l’été indien… ». Il y raconte sous forme de petites leçons les étapes clés de l’écriture de ce slow de l’été 1975 ! Et c’est croustillant parce qu’on se rend compte que « la chanson est une drôle d’alchimie [et] que l’harmonie entre les mots, la musique et l’interprétation, en apparence très simple, est le fruit d’un travail important ». Un bouquin qui m’a complètement renversé et que chaque auteur devrait avoir.
Claude Lemesle a également accepté que je l’accompagne à la guitare sur La demoiselle de déshonneur (à voir en vidéo ici). Comme j’ai trouvé l’entretien très riche, j’en ai fait faire la transcription et j’ai décidé de la publier ici.
Voici donc la transcription texte (littérale) de l’interview :
Olivier JUPRELLE : Comment démarrez-vous l’écriture de l’été indien?
Claude LEMESLE : L’été indien c’est une écriture à quatre mains.
Olivier JUPRELLE : Oui avec Pierre Delanoë.
Claude LEMESLE : Oui avec Pierre Delanoë.
Olivier JUPRELLE : Vous expliquez qu’au départ il y a une musique de Toto Cutugno et une volonté de faire un parlé-chanté dans les couplets et un chant dans le refrain.
Claude LEMESLE : Le parlé chanté était déja dans la version anglaise (à écouter ici). C’était un noir américain qui disait au fond “Qu’est-ce que je fiche en Amérique? Je ferais mieux de retourner en Afrique ou j’ai mes racines.” Ça s’appelait « Africa ». On voyait mal Joe (Dassin) dire : “Je suis un noir américain et je devrais retourner en Afrique”. Il n’aurait pas été crédible tout de même. En écoutant bien cette musique, j’ai vu qu’on pouvait exploiter ce côté parlé-chanté en donnant aux couplets un caractère un petit peu nostalgique de souvenirs et puis au refrain un caractère plus positif plus optimiste ; deux amoureux qui se promettent des choses.
Olivier JUPRELLE : Donc l’avenir dans le refrain et le flashback nostalgique dans les couplets.
Claude LEMESLE : Oui, sauf que le refrain c’est un flashback aussi ; c’est ce qu’ils se disaient il y a un an. Et donc, à partir de là, Pierre travaille sur le couplet et moi je lui apporte un certain nombres de contrepoints, de petites choses et puis c’est lui qui met les deux mots “été indien” dans ce couplet sans penser à quelque objectif commercial quelconque. C’est venu comme ça naturellement sous sa plume. Il était allé aux États-Unis l’année précédente et il faisait très beau en octobre. Le chauffeur de taxi lui avait dit : “Monsieur, c’est normal, c’est l’été indien”. Ça lui est venu comme ça.
Moi je lui ai dit: “Attends Pierre, on ne peut pas se permettre de laisser ça seulement dans le couplet. Il faut en faire le pivot de notre refrain”. Donc, c’est moi qui ait demandé à Pierre de terminer le refrain par les mots “été indien”. En gros, les couplets sont de lui à part certaines phrases qui sont de moi comme : « il y a un an, un siècle, une éternité »
Olivier JUPRELLE : Que vous inversez dans le deuxième couplet!
Claude LEMESLE : « Là-bas on l’appelle l’été indien mais c’était tout simplement le nôtre » c’est de moi. Des petites choses comme ça. Le refrain est pratiquement de moi.
Olivier JUPRELLE : Vous expliquez que ce refrain vient très vite. Vous l’écrivez assez rapidement finalement?
Claude LEMESLE : Pratiquement, c’est venu tout seul sans vraiment réfléchir. Comme quoi il y a des musiques qui appellent des mots, ça c’est clair.
Olivier JUPRELLE : Une dernière chose que je veux vous dire par rapport à l’été indien c’est justement Pierre Delanoë qui écrit à un moment : “Avec ta robe, tu ressemblais à une aquarelle de Marie-Laurencin. Et je me souviens très bien ce que je t’ai dit ce matin-là ». Vous expliquez que Pierre Delanoë ne sait absolument pas ce qu’il va dire mais il se provoque et il s’oblige à trouver la suite. Ça c’est une technique dont vous parlez dans « L’art d’écrire une chanson ». C’est une manière d’amorcer la pompe.
Claude LEMESLE : C’est pas au sujet de cette chanson là.
Olivier JUPRELLE : C’est vrai?
CL : C’est au sujet de “Une belle histoire” ou effectivement il est dans un bureau d’Europe 1 avec Michel Fugain avec cette musique et il commence “C’est un beau roman, c’est une bonne histoire, c’est une romance d’aujourd’hui” et alors il sait toujours pas ce qu’il va raconter mais au moins, il a commencé. Donc, il n’a plus l’angoisse de la page blanche.
Olivier JUPRELLE : Pour terminer l’anecdote, vous rentrez à Paris dans les bureaux du directeur artistique. Joe Dassin adhère complètement à votre proposition de texte mais le directeur artistique a deux remarques a vous faire.
Claude LEMESLE : C’est pas un bureau, c’est chez Joe. On est Feugerolles chez Joe, on apporte le texte, Joe adhere tout de suite. Jacques Plait n’est pas encore là, quand il arrive Joe me dit vas-y chante ce que vous avez trouvé et il me dit : “C’est formidable, très joli, il y a deux choses qu’il faut changer : L’été indien parce que personne ne sait ce que c’est et Marie-Laurencin parce que personne sait qui c’est”. C’est un très très très bon directeur artistique ; c’est la seule fois ou je l’ai vu se tromper. Enfin, non, je l’ai vu se tromper une autre fois mais deux fois en 15 ans c’est peu. Après il le contestait, comme quoi on a la mémoire sélective. Il était un peu vexé par ça forcément mais bon il trouvait que c’était pas tellement juste de raconter ça, ce qui est vrai si on considère l’ampleur, l’intérêt et la force de sa carrière mais n’empêche qu’il l’a dit, vraiment. Comme quoi tout le monde peut se tromper!